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Archive for février 2012

NEW-IBERIA – NEW-ORLEANS (LOUISIANA) – DERNIER TRAMWAY POUR LES CHAMPS ELYSEES de James LEE BURKE (2003)

Après une interruption d’une semaine pour cause de Foire du Livre de Bruxelles, je reprends mon voyage littéraire en direction de sud profond, après Memphis je poursuis ma route sur la Highway 61 (revisitée par Bob Dylan) pour descendre à New-Ibéria , New-Orleans, La Fayette, Lousiana.

Le Bayou cher à Dave Robicheaux, héros des romans de James Lee Burke.

« Last Car to Elysian Field » reprend comme en écho le fameux « A streetcar named Desire » de Tennesse Williams, l’oeuvre emblématique de la Nouvelle Orleans pour le public français, immortalisée par le film de Kazan en 1951. Précisons tout de suite que nous sommes ici très loin des clichés touristiques propres à la Louisiane….

Entre New-Iberia, New-Orleans, le Bayou Teche, la rivière Achtafalaya,  Dave Robicheaux exhume littéralement des fantômes. Nous sommes dans l’Amérique de Georges W.Bush et notre héros part  à la recherche de l’histoire tragique d’un vieux blueseman, mystérieusement disparu il y a plus de 50 ans dans des conditions suspectes. Dave Robicheaux, flic et vétéran  du Vietnam revenu de tout, veuf et solitaire, tente de révéler l’histoire cachée du Sud raciste, archaïque….Que cache la splendeur des façades victoriennes comme on peut en voir dans Gone With The Wind ?

Dans cet univers d’une extrême violence où les meurtres sauvages s’enchainent sans logique apparente, Dave Robicheaux ouvre la boite de Pandore du vieux monde, celle des secrets enfouis. Un destin commun unit grands propriétaires terriens aux riches demeures et noirs miséreux vivant dans des slum immondes, celui de l’histoire tourmentée du vieux sud . L’ enquête de Robicheaux va révéler le terreau putride sur lequel s’est bâtie la respectabilité de façade qui fait écran aux pires turpitudes. Comme le dit l’un des protagonistes , « derrière chaque belle maison du sud, il y a le cadavre d’un Noir dans un placard ».

Le roman, que l’on classera dans le genre criminel/policier, tisse une narration complexe où les apparences sont toujours trompeuses. Dave Robicheaux avance dans le brouillard des faux-semblants évitant les écueils de sa propre destruction. Cultivant l’amitié virile et luttant contre ses propres démons (alcoolisme), il surmontera les épreuves les plus traumatiques…. pourra-t-on encore croiser un prêtre baptiste sans avoir un frisson de terreur ?

James Lee Burke se fait le chantre panthéiste de la Louisiane, aux tourments existentiels de son héros, il confronte la beauté sauvage du Bayou, comme dans tous les livres de la saga, la lecture nous fait ressentir physiquement la moiteur des soirs d’été, les pluies aussi torrentielles que soudaines,  les nuits profondes, le silence et les bruits d’un cadre « naturel » exceptionnel et fragile car menacé par le cancer des profits immédiats. La pastorale américaine prend pour cadre le luxuriant bayou où chaque apparition est un signe merveilleux à comprendre, un havre de paix dans la tourmente.

Je recommande la lecture de toute la série des ouvrages de  James Lee BURKE situés en Louisiane, je n’ai pas encore fréquenté sa nouvelle terre d’élection….le Montana.

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MEMPHIS (Tennessee) – SEPTEMBRE EN NOIR ET BLANC de Shelby FOOTE (1977)

Une perle méconnue de la littérature sudiste.
Trois blancs, white trash,  du « deep south » (dont une femme, Reene) montent à Memphis pour y commettre le forfait crapuleux s’il en est : l’enlèvement d’un enfant.

Podjo, Rufus et Reene planifient le crime,passent à l’exécution et finalement réussissent à toucher les 60 000 dollars de la rançon versée par un notable noir de Memphis pour récupérer son enfant Teddy. Car la victime de l’enlèvement est un petit enfant noir.
On sait le sud en proie à de violentes convulsions raciales et c’est dans un climat d’extrêmes tensions que s’opère le crime. Les gangsters n’ont rien laissé au hasard, puisque le forfait doit avoir lieu en septembre, mois de l’intégration forcée des enfants noirs dans les établissements scolaires de Little Rock, Arkansas….de l’autre côté du grand fleuve frontière ….le Mississippi  (l’action a lieu en 1957).

Les criminels vont profiter de ce contexte politique (les manoeuvres détestables du gouverneur de l’Arkansas Faubus) et de la peur panique des noirs en cette période très troublée. Terrorisés par l’ambiance de lynchage collectif qui accompagne les lois d’intégration, la famille du petit garçon sera plus disposée à payer une rançon sans en avertir les autorités, et surtout pas les blancs….qui va s’intéresser en effet au rapt d’un petit garçon noir dans une ville fondamentalement raciste comme Memphis ?

Shelby Foote, grand spécialiste du Sud et de son histoire, expose ici une fiction introspective des plus passionnantes.  Dans ce « thriller au ralenti » comme d’aucuns ont pu le qualifier, l’un des intérêts et non des moindres  est l’articulation des points de vue au sein d’une narration qui les expose tous.
Nous sommes dans la démocratie des raisons, des histoires individuelles, le parcours de chaque personnage est méticuleusement exposé dans une alternance de récits à la première personne. Et c’est justement les histoires et ressorts intimes de  chaque personnage qui, mis ensemble, vont provoquer la dislocation du projet commun. Le crime en tant que projet collectif, c’est à dire conjonction de désirs et volontés individuelles,  contient les germes de son propre échec.

Cette situation exceptionnelle va révéler chaque personnage dans son intimité, je souligne ici le poids de la sexualité dans l’histoire de chacun car elle aura  un impact déterminant dans le fiasco général. Du côté des noirs, de la famille , la prise de conscience d’une sujétion ontologique dramatique due aux origines (la loi des blancs), une malédiction d’esclave  qui appelle la révolte et la mise en cause radicale de tous les faux semblants sociaux.

Memphis adossée le long du grand fleuve , ville de la mixité raciale qui a produit le meilleur mais surtout le pire (une ségrégation impitoyable) est le creuset de toutes les contradictions de l’Amérique et de son histoire, elle devient ici le cadre d’une fiction criminelle tendue et sensuelle.

N’oublions pas que dans ces années-là, un petit blanc de Tupelo montera lui aussi à Memphis (That’s allright ma….i’m leaving town for sure »…..)

Disposant d’une ancienne édition de cet ouvrage publié chez 10/18 qui reproduit en première de couverture un détail d’un tableau de Edward Hopper, je ne résiste pas au plaisir de l’insérer ici dans son intégrité, il s’agit du « Manhattan Bridge Loop » de 1928.

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BOSTON (Massachusetts) – UN PAYS A L’AUBE – Dennis LEHANE (2008)

la grande fresque sur Boston à la fin de la première guerre mondiale, lorsque les boys rentrent d’Europe vainqueurs mais malades, lorsque les convulsions sociales et politiques s’expriment dans la violence d’une cité où prolifèrent pauvreté, anarchisme, terrorisme et répression féroce.

Le livre reprend les moments saillants de cette histoire dramatique, la célèbre explosion de 1919, la grève des policiers, les séditions et contestations qui vont disloquer la ville, le choc des différentes communautés de migrants arrivés d’Irlande et d’Europe continentale, leur confrontation à un moment où l’anglais est loin d’être la langue dominante.

Une famille va traverser ce moment chaotique de l’histoire de Boston (et partant de l’Amérique), une famille de policiers dont chaque membre devra prendre position dans le conflit. L’entrée dans l’histoire des luttes sociales marquera le début de la décomposition de la fratrie irlandaise, soudée et solidaire, elle perdra sa cohérence et ses illusions au fil des combats et des reniements. Le récit prend ici toute sa dimension épique, la tragédie familiale intime s’enracine dans les conflits de l’époque auxquels elle ne survivra pas. Le  problème racial, véritable gangrène américaine ajoute de la division et de l’incompréhension à une situation déjà explosive menaçant sans cesse  la communauté dans ses fondements.

 

 

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(NEW-YORK) 42nd STREET -TIMES SQUARE – COUPABLE DE TOUT – Herbert HUNCKE ( 1997)

Définition de la prison pour Herbert Huncke …… »longue période entre deux piqures » !

Le quotidien (assez fastidieux) de notre héros : défonce, recherche angoissée de la dope autour de Times Square et de la 42ème rue, combines invraisemblables pour grapiller quelques dollars, prostitution, vols et agressions en tous genres….séjours en prison, rencontres avec des comparses très peu recommandables…..Huncke ou l’anti-héros type de l’Amérique des bas-fonds, un aventurier de l’underground new-yorkais et ce depuis le début des années 30.

Au milieu des années 40, lorsque l’Amérique se prépare à entrer en guerre sur tous les fronts, Herbert HUNCKE poursuit sa quête obsessionnelle dans les pires endroits de New-York. Toutes les substances sont bonnes pour se « charger » avec une prédilection certaine pour l’héroïne et les amphétamines   (« heroïn, it’s my wife and it’s my life » comme le chantait Lou Reed ), l’essentiel pour notre auteur est d’être sans cesse dans un état second limite pour supporter le poids du présent et le mépris de soi-même, en veillant  à ne jamais basculer dans l’excès fatal de l’OD….Le drogué est un être de la mesure, jamais de l’hybris…..

Ce mode de vie se paye d’un prix exorbitant : créativité laissée en jachère, solitude, perte des « amis », terreur  paranoiaque du « shoot » de trop et  de la descente de police.

Reste l’écriture, les pages que nous lisons ici rendent compte de l’univers chaotique de HUNCKE avec ses mille et une histoires du monde de la rue et de toutes les figures pittoresques de la « beat génération » naissante. Car l’auteur fût en effet l’ami de BURROUGHS (Junkie), GINSBERG (Howl) et KEROUAC lorsque la nouvelle littérature américaine prenait son envol (« On the road  » de KEROUAC sera publié en 1957). Ces carnets sont une collection de portraits et de situations vécues, le style est proche du langage parlé, vivace avec des envolées poétiques….HUNCKE dans le brouillard de ses pérégrinations n’est pas insensible au charme des moments fugaces….

Par certains aspects le New-York de HUNCKE évoque pour moi celui, non moins violent, de WEEGEE, ce noir et blanc contrasté de la nuit du Westside, loin du glamour de Park Avenue…..Je pense également à L’Homme au bras d’or (The Man With the Golden Arm) d’Otto Preminger, 1955; mais il est vrai que  Franck Sinatra y campe un personnage nettement plus présentable que HUNCKE.

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WASHINGTON (DC) – HARD REVOLUTION de George.P.PELECANOS (2004)

Le 4 avril 1968 Martin Luther KING est assassiné à Memphis.

Dès l’annonce de la nouvelle des émeutes éclatent dans les grandes villes américaines et tout particulièrement à Washington où la grande marche pour le travail et la liberté  conduite par M.L.KING avait rassemblé une foule énorme devant le capitole le 28 août 1963 (« i have a dream »).

Des quartiers entiers sont mis à feu et à sang, la garde nationale est appelée en renfort, le couvre-feu décrété.

Cet évènement majeur de l’histoire américaine constitue le climax vers lequel  les différents  protagonistes du roman de George.P.PELECANOS  HARD REVOLUTION sont entrainés et auquel ils participeront de loin ou de près.

Le livre appartient au genre policier, deux frères noirs vont avoir des destins contraires, l’un prendra le chemin de la loi en devenant policier, l’autre vivant de petits traffics connaitra une fin tragique.  Pelecanos campe ses personnages avec beaucoup de tendresse mais sans mièvrerie, la famille est le lieu des conflits, des petits bonheurs, elle survivra à toutes les vicissitudes du racisme et de la violence.

Washington, capitale des tensions raciales et du crime est le lieu de prédilection de toutes les fictions de Pelecanos.

En contrepoint de cet univers de violence, la vision quasi cinématographique du cadre urbain est accompagnée par une formidable bande sonore , la musique de The Temptations, Percy Sledge ou de The  Supremes donne le tempo d’une ville dont le coeur profond bat au rythme de la « sweet soul music ».

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SPARTA (NORTH CAROLINA ) – DUPONT UNIVERSITY – MOI, CHARLOTTE SIMMONS de Tom WOLFE (2006)

Comment  » I Charlotte Simmons » va-t-elle perdre ses illusions ? Entendons ici sa virginité……

Le roman  de Tom Wolfe reprend le projet balzacien à l’oeuvre dans les ILLUSIONS PERDUES, la montée à la grande ville (ici la prestigieuse université DUPONT), la découverte des réalités derrière la façade d’une institution respectable, la confrontation avec autrui à travers la cruauté des rapports de classe  et finalement le choc initiatique de l’entrée dans le monde adulte ….

Comme Lucien de Rubempré, Charlotte connaîtra le chemin du retour désenchanté….

Charlotte Simmons, une oie blanche de Caroline du Nord (derrière les montagnes), recluse dans le conformisme d’une famille modeste et déclassée, entre un père autoritaire, une mère sur-protectrice, se trouve prise dans les convenances de la petite ville de province où le « qu’en dira-t-on » dicte toutes les conduites. Son excellent parcours scolaire au lycée de Sparta lui vaut les honneurs et la consécration suprême…..l’admission à Dupont.

Tom WOLFE, adepte des recherches documentaires minutieuses, dresse ici un tableau de l’Université made in US loin des stéréotypes d’excellence et de réussite que véhicule la doxa commune. Tout au contraire assistons-nous ici à un jeu de massacre jubilatoire. On sait que DUPONT est le condensé de plusieurs grandes institutions américaines au sein desquelles WOLFE s’est livré à une immersion pour mieux en saisir le fonctionnement réel sous tous ses aspects. Le résultat en est pour le moins saisissant.

L’Université américaine….son prestige ne repose que sur la notoriété de ses sportifs survitaminés dont le quotient intellectuel est inversement proportionnel à leur taille.  L’institution délivre à ces dieux du stade des cours qui correspondraient à peu près à niveau d’une classe de quatrième d’un collège français. Ce système absurde, contre lequel se rebellent quelques intellectuels dignes de ce nom, perdure car il est source de revenus faramineux pour les établissements. Que dire des autres étudiants ?  Fils et filles de la classe aisée américaine, croulant sous les biens de consommation, d’une invraisemblable suffisance, ne pensant qu’à faire des fêtes « destroy » et dont l’unique préoccupation est la recherche d’un nouveau partenaire, trainent leur ennui entre vacuité et arrogance.

Tom WOLFE fait voler en éclat tout ce petit monde de la richesse et du faux semblant , il  ne nous épargne rien des turpitudes et lâchetés diverses, rancoeur des « faibles » (entendons ici les « moches ») et des exclus du système qui se regroupent en fraternité du ressentiment (à l’instar des cénacles balzaciens);exclus de la domination sexuelle ils complotent et se liguent contre leurs ennemis.

La manière dont WOLFE peint certains traits du caractère de Charlotte met en exergue le ressort caché des « émotions » du sentiment.  A plusieurs reprises, l’auteur accentue les petites faiblesses de la vanité féminine qui ne peut envisager une relation amoureuse que médiatisée par le regard approbateur et envieux d’autrui. Charlotte recherche sans cesse les yeux de l’envie de la part de ses rivales potentielles et ceci bien entendu à l’insu du premier intéressé, l’homme qui l’accompagne. Il me semble que WOLFE fait voler ici en éclat un autre mythe..celui du sentiment amoureux proprement dit. N’est objet du désir que celui qui est soustrait à autrui et qui rend jaloux. Cette coquetterie de pure vanité est un péché mignon qui dit la vérité du sentiment et dont l’héroïne va payer le prix le plus élevé….

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